L’HISTOIRE DISSIMULÉE DE PETITS FORÇATS :
LES GRAVIERS DE
SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON
Laurence Moal
Le 5 décembre 2024, Petits graviers de Saint-Pierre, un documentaire réalisé par Laurent Giraudineau, a été projeté à
l’auditorium des Capucins à Brest. Il raconte la recherche d’un écrivain breton, Alexis Gloaguen, parti sur les traces de son grand-père de l’autre côté de l’Atlantique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, pour savoir s’il était parmi les innombrables « petits graviers », ces enfants exploités pour l’industrie de la morue. Au-delà de l’enquête familiale, ce film raconte une page encore peu connue, voire délibérément dissimulée, de l’histoire de la Bretagne. Remarquablement illustré et documenté, il fait connaître une réalité historique tout en rendant hommage à ces jeunes travailleurs.
Les graviers tiennent leur nom de leur lieu de travail, la « grave », c’est-à-dire la plage de galets où ils font sécher
la morue. Au début du XIXe siècle, Saint Pierre-et-Miquelon est une colonie française. L’activité des graves y est gérée par des armateurs qui mettent au point un système d’exploitation d’une main-d’œuvre non qualifiée.
Les graviers sont des garçons de 11 à 18 ans, parfois plus jeunes. Certains viennent d’un orphelinat, les autres sont enrôlés parmi les miséreux qui peuplent les campagnes de
l’arrière-pays breton, normand et parfois basque. On leur dit qu’ils mangeraient à leur faim, qu’ils apprendraient le français et qu’ils pourraient ensuite s’embarquer dans
la flotte.
La plupart n’ont jamais vu la mer avant leur départ. Leur enfer commence par le voyage qui s’effectue à bord d’une goélette, avec soixante à cent graviers parqués dans la cale insalubre, couchés sur le sel. Au début du XXe siècle, des
« paquebots » à vapeur, partant de Saint-Malo, pouvaient en transporter plus de mille. La traversée depuis Granville, Saint-Malo, Fécamp, Nantes ou Bordeaux dure entre quinze et trente jours.
À leur arrivée, entre mars et avril, les graviers sont débarqués sur l’île aux Chiens (rebaptisée depuis l’île aux Marins). Aucune échappatoire n’est possible !
Ils vont y rester au moins jusqu’en octobre.


Leurs conditions de travail sont éprouvantes.
Ils chargent du sel et transportent de lourdes charges de poisson sur des civières. Penchés sur les graves exposées au vent, ils lavent puis étalent les morues sur les galets pour les faire sécher au soleil. Le soir, ils les remettent en meules qu’ils recouvrent d’une toile. Ils renouvellent l’opération chaque jour pendant plusieurs semaines jusqu’à ce
que les morues soient suffisamment sèches afin de se conserver pendant de longs mois.
Au terme de cette opération, le poisson est expédié vers les Antilles, la France, l’Espagne ou ailleurs. Les cadences sont infernales et les journées interminables, les pieds et les
mains dans le froid, l’eau glacée, le sel…

